top of page

L'OUTIL, 2017

Les outils sont parfois dans l’ombre, dans le processus artistique, et j'ai souhaité les ramener au devant de la scène. Tout comme l’artiste Rebecca Horn qui, dans son œuvre « Pencil Mask », met, directement, l’outil sur son visage et tente de dessiner avec. L’outil doit être mis en avant pour comprendre son œuvre. Karina Smigla-Bobinski crée, elle aussi, son outil qui est un ballon avec des mines de plomb fixées dessus. L’artiste l’installe dans un « white cube » et les spectateurs font bouger le ballon pour marquer les murs et le sol. Sans oublier un des artistes pionniers dans la réalisation « d’outil à créer », Jean Tinguely avec ses «Méta-Matics».

J’ai voulu réaliser un outil permettant de créer un dialogue entre l’artiste et le visiteur.

L’outil est le prolongement de la main de l’homme, un intermédiaire d'action, comme un exosquelette. Il sert à décupler nos capacités à créer. L’outil, dans un processus d’art plastique, est souvent négligé ou mis de côté. Il est rarement valorisé. Les peintres ou sculpteurs montrent leur réalisation, mais pas ce qui a servi à les réaliser. L’instrument sert « juste » à créer. En visitant l’atelier de Constantin Brâncusi, place Georges Pompidou à Paris, j’ai enfin pu voir les outils qui ont servi à réaliser ses chefs-d’œuvre.

 

Le stylo Bic a été un outil indispensable à mon apprentissage tout au long de mes études. C’est avec lui que l’on apprend à écrire et peut-être avec lui que les spectateurs apprendront à « faire de l’art ». Il Lee réalise ses œuvres abstraites en traçant des lignes avec des stylos à billes. C’est un outil intéressant, il permet de faire évoluer les valeurs de la couleur de son trait en fonction de sa profondeur d’application sur le papier.

Dans un second temps, j’ai conçu l’outil de manière plus contrôlé et plus esthétique. Pour cela, j’ai utilisé un morceau de bois que j’ai troué pour y insérer les stylos Bic. J’ai percé 4 lignes de 9 trous pour y glisser les stylos à billes. Après quelques essais, je me suis rendue compte que mon outil se différenciait du précédent constitué de stylos alignés, et qu’en fonction des emplacements des stylos, l’outil ne réalisait plus du tout les mêmes motifs qu’à mes premiers tests. Le support, de grande dimension, perdait de son sens puisque le motif était compacté et ne formait plus qu’une seule ligne. Cependant, cet outil est intéressant quand il produit des motifs sur une petite surface. Un geste engendre simultanément 34 empreintes. J’ai donc décidé de contraindre le format en le rendant analogue à celui de mon outil. Par cette dimension, je contredis les réalisations des artistes présentés, précédemment, qui utilisent en général des grands formats. Ici, je veux voir ce qui se produit quand on a peu de place pour dessiner. Notre geste doit être contenu dans un espace inférieur à une pièce de deux euros, alors que l’outil massif nous encourage à faire de grands gestes. La frustration engendre de beaux résultats.
Les tracés répétés à l’identique, ainsi obtenus, plaisent à l’œil de part leur régularité, mais sont d’autant plus riches par leur variation. En effet, pour avoir un bon tracé, l’outil doit être  tenu fermement, et il faut bien appuyer dessus quand on réalise le geste, sinon il y a des zones plus appuyées, donc plus foncées et d’autres moins. Il y a des différences au niveau de la pression des stylos.
Les lignes de tracés régulières par leur distance font penser au travail de Harald Stoffers qui crée un tissu d’écriture. John Baldessari dans «I will not make any more boring art» propose, lui aussi, une « production punition » qui répète son titre. La régularité et les variations des ses travaux proposent un agglomérat de signes formant une sorte de dentelle d’encre.
Je propose d’installer ma production accompagnée de l’outil sur un socle, et j’invite le spectateur à utiliser cet outil sur une feuille de petit format, ensuite, le spectateur peut accrocher sa production au mur.
Ici, c’est le spectateur qui se sert de l’outil (créé par « l’artiste ») pour en définir l’utilisation.

Au mur, ces dessins montrent la richesse des possibilités, et poussent le spectateur à être curieux des effets trouvés, et à en expérimenter de nouveaux lui-même.

L’enjeu visuel de ce projet est basé sur le motif de différentes couleurs identiques en all-over sur un petit format. Si on ne voit pas l’outil, c’est comme si le créateur avait fait un dessin, puis avait changé de stylos pour en faire un deuxième, puis un troisième et ainsi de suite. Il y a, dans le motif répété, l’idée de labeur comme certains artistes le pratique dans le milieu de l’art brut. Michel Roux répète des formes géométriques à l’infini de manière très précise pour créer un gris homogène all-over de motifs. Constance Schwarzlin écrit des lignes et des lignes de manière régulière, de manière monomaniaque. L’art brut est analogue à mon projet puisque certaines pratiques d’art brut font appel à un procédé de longue haleine que l’on retrouve chez les prisonniers ou les marins, et de taille lilliputienne comme les gravures de Rodolphe Bresdin.

Un membre du personnel du musée devra accompagner les visiteurs lors de leur participation à l’installation. Les papiers installés doivent être positionnés sur une surface tendre pour que les pointes des stylos à bille Bic accrochent bien le papier. Pour ceci, j’ai utilisé un carton gris, que l’on retrouve sur le mur pour recevoir les créations. Cela permet de faire un écho entre le moment de création et d’affichage.

bottom of page